LE PASSANT / LA PASSANTE
CE PASSANT
« Je ne me souviens plus qui parle avec qui dans les séquences américaines dans la rue dans Intolérance. Mais je n'oublierai jamais le masque de ce passant au long nez pointant entre des lunettes, la barbe pendante, les mains dans le dos, avec une démarche de maniaque. Son passage interrompt le moment le plus pathétique de la conversation du pauvre jeune homme et de la pauvre jeune fille. D'eux, je ne me souviens presque de rien, mais ce passant qui traverse l'image le temps d'un clin d'œil, je le vois vivant devant moi, et j'ai vu ce film il y a vingt ans »
Eisenstein, Dickens, Griffith et nous
L'HOMME DE LA RUE
« Paris, Place de Clichy, entrée du Gaumont-Palace. Septembre 1915.
Il porte une veste sombre ouverte sur un gilet (...) Il se montre - mais pas trop, légèrement en retrait sur le côté de l'image -, il est là pour ça, meubler le décor, se faire voir sans se faire remarquer, n'être qu'une silhouette sur le trottoir, anonyme.
Il faut avoir l'air naturel, ne jamais rester immobile, le cinéma, c'est l'art du mouvement, alors pour se donner une contenance, il esquisse quelques pas à droite et à gauche, faussement désinvolte, semble attendre un rendez-vous imaginaire, suit des yeux une robe ou un chapeau qui sortent du champ par la rue Caulaincourt, revient se placer sous l'affiche du programme (....)
Ce n'est qu'un figurant anonyme, un simple passant de 1915, l'homme de la rue, qui disparaîtra à la fin du plan, et dont je ne saurai jamais rien (....)
Sa présence ici, ce jour là, à la porte du Gaumont-Palace, dans cette scène des Vampires totalement inutile à l'action (...)
On ne lui demande, pendant quelques instants, que de tenir le rôle de sa vie, de sa propre vie, d'être lui-même, c'est à dire tout le monde et n'importe qui : rien qu'une présence incertaine parmi les mille petites vies dépareillées qui traversent l'écran, se frôlent, et se fondent dans la foule parisienne (...)»
Didier Blonde, Les Fantômes du muet, Gallimard, 2007
A UNE PASSANTE